Marais et plans d’eau

Riche en eaux courantes, la région compte aussi une grande variété d’eaux stagnantes continentales ou littorales. Plusieurs zones de marais constituent des sites tout à fait exceptionnels à l’échelle européenne. A l’exception du Marais poitevin en partie sur le territoire des Deux-Sèvres et de la Vendée, ces marais se trouvent tous en Charente-Maritime, seul département de la région à bénéficier d’un littoral. Ils totalisent une superficie d’environ 85 000 ha. Les eaux y sont douces ou saumâtres. Plusieurs de ces zones humides sont d’anciens marais salants aujourd’hui reconvertis pour la plupart en espaces à vocation conchylicole, notamment en claires ostréicoles. C’est le cas des marais de la Seudre, de ceux de l’Ile de Ré et de quelques-uns sur Oléron. Les marais les plus intéressants pour les libellules sont cependant les marais arrière-littoraux possédant un réseau complexe de fossés et de canaux, et parfois riches de dépressions inondables (les jas) non connectées à ce réseau. Le Marais poitevin qui occupe une superficie de 20 000 ha en Poitou-Charentes, les marais de Brouage et ceux de Rochefort, le delta de la Seugne, sont les plus importantes de ces zones humides particulièrement propices au développement des libellules. Les marais continentaux sont plus rares et de superficie bien plus réduite. Ils sont tous de plus en plus drainés et fortement dégradés par l’agriculture intensive. On peut citer le marais de Gensac-la-Pallue, le delta de la Seugne, les tourbières alcalines de Vendoire dans la vallée de la Nizonne et celles des Régeasses dans le Montmorillonnais.

Vue aérienne du marais de Voutron (17)

De nombreux plans d’eau parsèment la région. Les plus vastes sont les quatre lacs de barrage : Touche-Poupard et Cébron-Puy Terrier en Deux-Sèvres et Mas-Chaban et Lavaud en Charente. Toutefois, la plupart de ces plans d’eau sont des étangs de taille moyenne ou petite, artificiels et très aménagés. Leur densité est inégale sur le territoire : le Confolentais, le Montmorillonais et la Gâtine sont les zones qui en comptent le plus. Beaucoup servent pour les loisirs, notamment pour la pêche et la chasse, ou sont des réserves d’eau pour l’irrigation. Certains sont aussi nés de l’extraction de sable ou d’argile. Dans certains cas, propres et bien végétalisés, ils peuvent présenter un réel intérêt pour les odonates. Par exemple, les étangs de Combourg et de Pleuville, à l’est, accueillent une odonatofaune particulièrement riche.

Enfin, on estime à 30 000 le nombre de mares dans la région. Leur répartition dépend beaucoup des sols et des paysages. Les zones bocagères traditionnellement vouées à l’élevage, avec des sous-sols plutôt imperméables, sont particulièrement riches en mares. C’est le cas des environs de Bressuire et de Parthenay en Deux-Sèvres et du Sud-est de la Vienne. On trouve aussi beaucoup de ces pièces d’eau sur des sols argilo-sableux, sur les terres de brandes de la Vienne mais aussi en Haute-Saintonge à l’extrême sud de la région. Les mares à la biodiversité la plus riche et donc les plus intéressantes pour les odonates sont très souvent celles en réseau.

Les 3 000 mares permanentes de la réserve du Pinail en Vienne sont ainsi particulièrement remarquables. Les mares, à l’instar d’autres zones humides, sont très menacées et leur nombre diminue rapidement sur tout le territoire.

Pour finir, il faut noter la multiplication actuelle, liée à l’évolution législative récente, de nouveaux milieux humides stagnants d’origine directement anthropique : les bassins de stockage des effluents routiers et les stations de lagunage pour l’épuration des eaux usées. La qualité de l’eau dans ces milieux est par définition médiocre mais il est intéressant d’en voir certains bien colonisés par plusieurs espèces de libellules, en particulier les plus pionnières.

Mare en zone d’élevage ovin dans la région de Confolens (16).

 

Eric PRUD’HOMME

 

L’accouplement

La recherche d’un partenaire prend plusieurs formes chez les libellules. Certaines espèces sillonnent inlassablement un territoire qu’elles défendent avec agressivité. Les mâles recherchent activement des partenaires et fondent à la poursuite des femelles traversant leur domaine. Chez d’autres espèces, les mâles se postent le long des cours d’eau et attendent que les femelles s’approchent. D’autres encore fréquentent des lieux de rendez-vous, à l’écart des cours d’eau, où mâles et femelles matures se regroupent.

Le phénomène de la parthénogenèse

La parthénogenèse est la capacité qu’ont les femelles de certaines espèces à se reproduire sans l’intervention de mâles. Ce phénomène, rare chez les libellules, n’a été constaté dans la nature que chez l’Ischnure citrine Ischnura hastata. Cette espèce américaine se reproduit de façon normale sur ses terres d’origine. Aux Açores, où l’espèce s’est probablement installée après l’arrivée de quelques individus américains emportés par des tempêtes, la population est uniquement composée de femelles. Toutes les pontes ne donnent naissance qu’à de nouvelles femelles.

Chez de nombreuses espèces, l’accouplement se fait immédiatement après la capture d’une femelle par un mâle. Chez les caloptéryx cependant, des parades nuptiales élaborées permettent aux mâles de séduire les femelles. Le mâle papillonne sur place devant sa dulcinée, exhibant ses atours colorés, puis tombe à l’eau et se laisse dériver sur quelques centimètres avant de reprendre son vol. Il semble que ce comportement puisse permettre à la femelle d’estimer la vitesse du courant et d’évaluer la qualité du territoire de son partenaire potentiel en tant que site de ponte.

Pour s’accoupler, les mâles de libellules doivent saisir les femelles grâce à leurs appendices anaux, au niveau de la tête ou du thorax selon les espèces. Chaque libellule a développé son propre système d’accroche, qui évite le plus souvent les tentatives d’accouplement entre espèces différentes. Les deux insectes forment alors un tandem.

Les pièces copulatrices du mâle sont situées sur le deuxième segment abdominal mais ses organes génitaux sous le neuvième. Avant toute copulation, le mâle doit donc effectuer en vol un transfert de sa semence tout en maintenant sa compagne. La femelle qui accepte l’accouplement replie son abdomen vers l’avant et, avec l’aide du mâle qui la ramène sous lui, les deux partenaires mettent en contact leurs pièces copulatrices.

L’accouplement peut se faire entièrement en vol, notamment chez les libellulidés, mais la plupart des espèces préfèrent se poser. Les partenaires accouplés forment le cœur copulatoire. L’accouplement peut être très bref (quelques secondes), quand il n’y a que transfert de sperme. Il peut être long et prendre plusieurs heures quand le mâle nettoie la cavité spermatique de la femelle avant d’y introduire sa semence. A l’aide de sorte de petits plumeaux, il élimine le sperme d’éventuels prédécesseurs et accroît ainsi ses propres chances de paternité. Mâles et femelles s’accouplent avec de nombreux partenaires différents, parfois à quelques minutes d’intervalle seulement.

 

Philippe Jourde

 

Biologie et écologie

 

Philippe Jourde

 

Bibliographie

Brooks S., Lewington R., 2004 – Field guide to the dragonflies and Damselflies of Great Britain and Ireland. 4ème édition. British Wildlife Publishing, Hook, 142 p.

Busse R., Jödicke R., 1996 – Langstrecken-marsch bei der Emergenz von Sympetrum fonscolombei (Sélys) in der marokkanischen Sahara (Anisoptera : Libellulidea). Libellula, 15 : 89-92.

Coppa G., 1991 – Notes sur l’émergence d’ (Charpentier) (Odonata : Cordudliidae). Martinia, 7 (1) : 7-16.

Corbet P.S., 2004 – Dragonflies : Behaviour and Ecology of Odonata. 2nd – edition. Harley Books, 830 p.

Jödicke R., 1994 – Marcha de larga distancia para la emergencia en Sympetrum fonscolombei (Sélys) y Orthetrum cancellatum (L.). Navasia, 3 : 5-6.

Jourde P., 2000 – Nouvelles données de captures d’odonates par un végétal non carnivore. Martinia, 16 (1) 3-7.

Jourde P., Hussey R., 2007 – Quelques cas d’émergences distantes de l’eau chez Ladona fulva (Müller, 1764) et Orthetrum albistylum (Selys, 1848) (Odonata, Anisoptera, Libellulidae). Martinia, 23 (2) : 67-69.

Martens A., Suhling F., 2003 – The barbed inflorescences of the grass Setaria verticilliata (L.) Palisot de Beauvois (Poaceae) as a lethal trap for dragonflies (Odonata). Cimbebasia, 18 : 243-246.

Papazian R., 1998 – Les odonates et les plantes épizoochores. L’Entomologiste, 54 (5) : 193-196.

Pickess B.P., 1987 – How far will larvae of Orthetrum cancellatum (L.) travel for their emergence ? JBDS, 3 : 15-16.

Proctor H., Pritchard G., 1989 – Neglected predators : water mites (Acari : Parasitengona : Hydrachnella) in freshwater communities. Journal of the North American Benthological Society, 8 : 100-111.

Dispersions, invasions et migrations

Si certaines espèces ne se dispersent guère autour de leur lieu de naissance (l’Agrion de Mercure Coenagrion mercuriale ne s’éloigne généralement pas à plus de quelques centaines de mètres de son site d’émergence), d’autres peuvent entreprendre de grands déplacements pour coloniser de nouveaux sites de reproduction. Les aeschnes, la Libellule déprimée Libelulla depressa et même de petites espèces comme les caloptéryx s’observent parfois à des dizaines de kilomètres de tout point d’eau.

L’Anax porte-selle Hemianax ephippiger entreprend des déplacements intercontinentaux pouvant le mener de l’Afrique à l’Europe et même de l’Afrique à l’Amérique !

Les déplacements de certaines espèces peuvent parfois être massifs. Ainsi des milliers de Sympétrum jaune Sympetrum flaveolum peuvent apparaître et même se reproduire ponctuellement dans des régions qu’ils ne fréquentent pas classiquement.

Les mouvements coordonnés du Sympétrum strié Sympetrum striolatum sont souvent qualifiés de migration. Ces déplacements, qui n’impliquent pas de retour à un point d’origine, concernent chaque automne des millions d’individus qui se déplacent face au vent le long des côtes du Centre-Ouest.

Les odonates, et tout particulièrement les anisoptères, sont de robustes insectes. Plusieurs espèces américaines, emportées par les tempêtes automnales, ont réussi à atteindre les côtes européennes. L’Anax de juin Anax junius, l’Ischnure citrine Ischnura hastata et la Sympétrule à front blanc Pachydiplax longipennis devraient être recherchées sur les côtes charentaises après le passage de fortes dépressions atlantiques.

 

Philippe Jourde

 

Etangs et mares de moins en moins favorables

Les étangs et les mares constituent des habitats privilégiés pour de très nombreuses espèces de libellules. Plus de 50 des 68 espèces de libellules picto-charentaises utilisent en effet ces pièces d’eau comme habitat de reproduction. Essentiellement d’origine humaine, ces milieux présentent, par leur hétérogénéité de formes, par leurs modes de gestion et par leur densité, des biotopes très intéressants. Cependant, ces habitats ont évolué de façon négative. Les étangs ont vu leur nombre fortement augmenter au cours de ces 40 dernières années. Mais, qu’ils soient à vocation agricole ou qu’ils aient été créés pour les loisirs, leur configuration est souvent défavorable à la biodiversité, avec des berges droites abruptes et une absence de hauts fonds. Ils souffrent en outre d’une gestion inadaptée des ceintures de végétation et, pour beaucoup, subissent une pression piscicole intensive (chaulage, empoissonnement …). La gestion « jardinée » de ces étangs est en outre à l’origine de bon nombre d’invasions biologiques : écrevisses, jussies, Myriophylle du Brésil… néfastes aux libellules. Parfois également, leur mauvaise exploitation, en particulier des vidanges réalisées par le haut et en mauvaise saison, entraîne des colmatages excessifs, une pollution organique et un réchauffement important de l’eau en aval.

La création d’étangs sur les sources et les ruisseaux, au niveau des têtes de bassin, sur les zones d’expansion de crues ainsi que dans le lit mineur, a fortement impacté la qualité, voire la pérennité des cours d’eau concernés. De nombreuses espèces animales au statut patrimonial important sont mises en danger par cette évolution. C’est le cas par exemple du Chabot Cottus gobio et de l’Écrevisse à pattes blanches Austropotamobius pallipes. Évidemment, plusieurs espèces d’odonates inféodés aux suintements et aux petits ruisseaux permanents sont également touchés : on peut citer l’Agrion de Mercure Coenagrion mercuriale, espèce protégée, mais aussi la Libellule fauve Libellula fulva ou encore le Caloptéryx hémorrhoïdal Calopteryx haemorrhoidalis.

Ainsi, seul un faible pourcentage des milliers d’étangs présents en Poitou-Charentes constitue des habitats favorables à des cortèges odonatologiques diversifiés.

Quant aux mares, avec la régression de l’élevage au profit de la céréaliculture et les nouvelles contraintes sanitaires, leur nombre a fortement diminué : à l’échelle du territoire national 90% de celles présentes au début du XXe siècle ont aujourd’hui disparu (Monot, 2003). En Poitou-Charentes, un inventaire a montré, en se basant sur une réactualisation des cartes IGN, que 26% des mares de la région avaient disparu de 1981 à 1990. Plus récemment, une estimation faite dans le bocage armoricain deux-sévrien, en Gâtine, fait état de 4% de disparition contre 1% de création entre 2002 et 2008 sur un échantillon de 757 mares (Boissinot, 2009). Actuellement, les estimations régionales en recense encore de 30 000 (PCN, 2001) à 42 857 (Scher, 2008). Au-delà de l’aspect quantitatif, l’état de conservation des mares du Poitou-Charentes se dégrade notamment en raison de l’apport d’espèces exogènes (poissons principalement), de l’expansion d’espèces invasives (ragondin, écrevisses…), de la pollution des eaux, de leur isolement et de pratiques de gestion inadaptées (sur-piétinement, abandon du curage, embroussaillement…). La disparition des mares constitue une réelle menace pour les espèces qui leur sont le plus associées. Les sympétrums, les lestes et certaines aeschnes (comme Aeshna mixta) sont ici les plus concernés.

Nicolas Cotrel

Bibliographie

Scher O., 2008 – The French pondscape, state of the art. 3nd European pond conservation workshop, Valancia. Spain. 14-16 th may 2008.

Richesse spécifique

Nombre d’espèces par département

Il s’agit d’un marqueur de la pression d’observation, notamment au niveau de la recherche des exuvies. Malgré une grande diversité des habitats entre le littoral et les zones continentales, le nombre d’espèces est relativement proche entre départements, même si des différences existent au niveau de la composition de l’odonatofaune.

En Poitou-Charentes, 68 espèces ont été inventoriées durant la période d’inventaire, dont 63 en Charente-Maritime, 60 en Vienne et en Charente, et 58 en Deux-Sèvres (figure 18). Parmi ces espèces, toutes ne se reproduisent pas dans les quatre départements, ainsi 46 espèces sur 58 (79%) inventoriées se reproduisent en Deux-Sèvres, 55 sur 60 (92%) en Charente, 56 sur 60 (93%) en Vienne et 59 sur 63 (94%) en Charente-Maritime. Le nombre total d’espèces de libellule se reproduisant en Poitou-Charentes est de 63 sur les 68 actuellement connues (93%).

Nombre d’espèces par commune

Ce critère est également un bon marqueur de la pression d’observation de terrain, mais également de la richesse en espèces, qui découlent de la diversité des habitats dans une même commune.

Cinquante deux espèces ont été inventoriées sur la commune de Vouneuil-sur-Vienne (comprenant la Réserve Naturelle du Pinail), dans le département de la Vienne. Cette dernière apparaît comme étant la commune la plus riche de la région. Elle est talonnée de près par la commune de Corignac en Charente-Maritime, avec 50 espèces. Au total 15 communes de la région accueillent plus de 40 espèces (figure 19).

Nombre d’espèces par localité

Ce critère démontre la richesse d’un site donné en espèces, et traduit l’importance odonatologique des localités.

Le site régional le plus riche en nombre d’espèces, est la réserve naturelle du Pinail en Vienne, avec 47 espèces, puis les Landes de Corignac en Charente-Maritime, avec 44 espèces. 19 autres localités, essentiellement réparties le long des principales vallées de la région, accueillent plus de 30 espèces (figures 20 et 21).



Laurent PRECIGOUT, Philippe JOURDE, Eric PRUD’HOMME

La protection des libellules

Statut juridique de protection

Face à la dramatique érosion de la biodiversité qu’ont connu l’Europe et la France depuis près d’un siècle et sous la pression des protecteurs de la nature, les législateurs ont intégré le fait que certaines espèces animales et végétales, parmi les plus menacées, devaient bénéficier d’un statut juridique de protection.

Au plan international, plusieurs textes ont été adoptés pour protéger la faune et la flore. La Convention de Berne du 19 septembre 1979, relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe, dresse dans son annexe 2 la liste des espèces de faune strictement protégées. On y trouve 16 espèces d’odonates dont 10 espèces sont présentes en France : huit anisoptères et deux zygoptères.

La directive européenne n°92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la protection des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, dite directive Habitats-Faune-Flore (DHFF), marque une étape décisive dans la protection de la nature en définissant des règles supranationales, dont l’objectif est de garantir le maintien de la biodiversité européenne dans un état de conservation favorable. Dans son annexe 2, elle définit notamment la liste des espèces animales d’intérêt communautaire dont la conservation nécessite la désignation de Zones Spéciales de Conservation. Ces ZSC constituent, avec les Zones de Protection Spéciales désignées pour les oiseaux, un réseau de sites naturels d’importance européenne : le réseau Natura 2000. Dans son annexe 4, la directive Habitats-Faune-Flore dresse l’inventaire des espèces animales d’intérêt communautaire qui nécessitent une protection stricte. Seize espèces de libellules sont intégrées aux annexes de la DHFF. Les 10 espèces présentes en France sont les mêmes que celles considérées par la Convention de Berne. Six sont inscrites à l’annexe 2 et huit à l’annexe 4, mais les raisons justifiant cette répartition apparaissent assez floues.

Au plan national, la promulgation de la loi relative à la protection de la nature (loi 76-629 du 10 juillet 1976) traduit une prise de conscience collective sur la nécessité de préserver la nature et toutes ses composantes. Complétée par une série de textes d’application, elle définit le régime de protection des espèces mais interdit aussi la destruction, l’altération ou la dégradation de leurs habitats.

Il faut attendre 1979, et plus précisément l’arrêté du 3 août, pour que paraisse la première liste des insectes protégés de France. Malheureusement, aucun odonate ne figure dans ce texte inabouti, qui ne recense que quelques papillons, cinq coléoptères et deux orthoptères.

  • L’arrêté du 22 juillet 1993 actualise la liste des insectes protégés sur le territoire national. Il intègre désormais dix odonates de France métropolitaine, pour lesquelles la destruction, la collecte, le transport, l’utilisation, la vente et l’achat sont interdits. Ce travail n’est malheureusement qu’une simple transcription en droit français de l’obligation de protection induite par la directive Habitats-Faune-Flore. Seules y figurent les dix espèces d’intérêt communautaire.
  • L’arrêté du 23 avril 2007 révise le texte précédent. Le législateur ne prend pas en compte l’avancée des connaissances relatives au statut de conservation des espèces et reprend une fois encore la liste établie par la convention de Berne, près de 30 ans auparavant. Plusieurs espèces menacées de disparition à l’échelle nationale ne sont toujours pas protégées en France !

Dans son article 2, ce texte définit en trois points le régime de protection des espèces :

  • « Sont interdits, sur tout le territoire métropolitain et en tout temps, la destruction ou l’enlèvement des œufs, des larves et des nymphes, la destruction, la mutilation, la capture ou l’enlèvement, la perturbation intentionnelle des animaux dans le milieu naturel. »
  • « Sont interdites, sur les parties du territoire métropolitain où l’espèce est présente ainsi que dans l’aire de déplacement naturel des noyaux de populations existants la destruction, l’altération ou la dégradation des sites de reproduction et des aires de repos des animaux. Ces interdictions s’appliquent aux éléments physiques ou biologiques réputés nécessaires à la reproduction ou au repos de l’espèce considérée, aussi longtemps qu’ils sont effectivement utilisés ou utilisables au cours des cycles successifs de reproduction ou de repos de cette espèce et pour autant que la destruction, l’altération ou la dégradation remette en cause le bon accomplissement de ces cycles biologiques. »
  • « Sont interdits, sur tout le territoire national et en tout temps, la détention, le transport, la naturalisation, le colportage, la mise en vente, la vente ou l’achat, l’utilisation commerciale ou non, des spécimens prélevés dans le milieu naturel du territoire métropolitain de la France après le 24 septembre 1993 ; dans le milieu naturel du territoire européen des autres états membres de l’Union européenne, après la date d’entrée en vigueur de la directive du 21 mai 1992 », à savoir la directive Habitats-Faune-Flore.

L’Agrion de Mercure ne bénéficie pas de la protection accordée à son habitat tel que stipulé dans le deuxième point de l’arrêté. Il est par contre pleinement protégé en tant qu’espèce au même titre que les neuf autres espèces.

 

Philippe JOURDE

 

Bibliographie

Dommanget J.-L., 1987 – Liste rouge des espèces menacées (première liste : décembre 1986) in Etude Faunistique et bibliographique des odonates de France. Inventaires de Faune et de Flore, MNHN/SFF, 36 : 113-120.

Dommanget J.-L., Prioul B., Gadjdos A., Boudot J.-P., 2008. ument préparatoire à une Liste Rouge des Odonates de France métropolitaine complétée par la liste des espèces à suivi prioritaire. Société française d’odonatologie (Sfonat). Rapport non publié, 47 p.

Maurin H., 1994 – Le livre rouge. Inventaire de la faune menacée en France. WWF/MNHN/Nathan, 176 p.

Poitou-Charentes Nature (PCN), 2007 – Liste rouge des Libellules menacées du Poitou-Charentes. Statut de conservation des odonates et priorités d’actions. Poitou-Charentes Nature, Poitiers, 48 p.

Prévost O., Durepaire P., 1996 – Les odonates du Pinail (département de la Vienne). Martinia, 12 (2) : 31-46.

IUCN 2009. IUCN Red List of Threatened Species. Version 2009.1. www.iucnredlist.org. Téléchargement du 05/08/2009.

Tourisme fluvial et artificialisation des berges

Sur de nombreuses portions de cours d’eau, d’autres atteintes à l’écosystème ont également des conséquences sur les libellules. Ainsi, le tourisme fluvial, du jet-ski à la péniche, provoque une érosion des berges importante, liée aux vagues formées par le passage des bateaux, qui viennent frapper les zones racinaires par exemple. Certaines espèces peuvent en pâtir, surtout lors des émergences, comme les Cordulies (Oxygastra curtisii, Macromia splendens). En outre, le passage de bateaux dans les herbiers aquatiques constitue un facteur de dégradation de ces zones de ponte. L’enrochement des berges réalisé sur certaines sections pour contenir cette érosion se fait aux dépends de la végétation aquatique rivulaire, zone de chasse, de repos et d’émergence.

Le cas particulier des milieux saumâtres

Les scirpaies maritimes se développant dans les marais saumâtres littoraux de Charente-Maritime constituent l’habitat exclusif du Leste à grands pterostigmas Lestes macrostigma, l’une des espèces les plus menacées de la région. Cependant, ce milieu est particulièrement convoité pour la conchyliculture qui y installe ses bassins d’affinage et qui y modifie le fonctionnement hydraulique. La lutte anti-moustiques et le renouveau des pratiques salicoles sont également à mettre en cause.

Nicolas COTREL

Espèces à rechercher car présentes dans les départements limitrophes

Les prospections de terrain ne s’arrêtent pas avec la fin de cet inventaire et la réalisation de cet atlas cartographique. Les odonatologues et naturalistes vont évidemment continuer d’arpenter les différentes zones humides de la région, déjà prospectées ou non.

Certaines espèces ne sont présentes que dans un ou deux départements et il n’est souvent pas déraisonnable de penser qu’on peut les trouver dans les autres départements. On pense notamment aux leucorrhines dont de petites populations très localisées sont à rechercher en Charente. Cela peut concerner d’autres taxons dont les limites d’aire de répartition sont difficiles à définir du fait de leur discrétion, comme l’Epithèque bimaculée à rechercher en Charente-Maritime et dans les Deux-Sèvres, ou comme le Gomphe à pattes jaunes qui pourrait remonter plus amont le cours de la Vienne. Il peut s’agir aussi de libellules dont la distribution semble en expansion comme le Trithémis annelé que l’on pourrait découvrir ces prochaines années plus au nord ou plus à l’est dans la région.

A l’échelle du Poitou-Charentes, trois espèces ne figurant pas dans l’odonatofaune régionale sont à rechercher car elles ont déjà été observées dans un ou plusieurs départements limitrophes :